Destruction du son et de l'image, 1976
Beta numérique PAL, noir et blanc, son
En 1976, Slobodan Pajic réalise la première vidéo produite par les studios audiovisuels du Centre Pompidou, intitulée Destruction du son et de l'image.
Présentée au VIDCOM [1] lors du Festival de Cannes 1976, celle-ci montre la destruction successive de différentes surfaces de verre sombre à l'aide de boules métalliques. Dans un premier temps, les plaques de verre sont installées à quarante-cinq degrés le long d'un rebord, puis disposées de différentes manières au fil des séquences de destruction. Celles-ci impliquent quasi systématiquement une substance poudreuse blanche qui, placée sur ou sous les plaques, leur sert tantôt de support, tantôt de décor - quoique celui-ci soit alors extrêmement sobre, prenant par exemple la forme d'une simple croix. Le nombre et le positionnement des plaques varient à chaque nouveau plan, sans qu'aucune logique de progression particulière ne semble diriger leur agencement. Confronté sans la moindre forme de contexte à un motif répétitif intrigant, le spectateur développe des velléités d'interprétation que ces courtes scènes de destruction - présentant l'apparence d'un protocole expérimental dont un scientifique tenterait d'épuiser les multiples combinaisons - ne peuvent que mettre en échec par leur caractère arbitraire. La volonté de dérouter le spectateur se fait progressivement sentir alors que les surfaces s'inversent : poudre blanche positionnée sur ou sous la plaque de verre, plan montrant non pas une boule métallique tombant sur une plaque, mais une plaque tombant sur une boule métallique. Par moments, la compréhension de l'espace filmé se fait difficile : Slobodan Pajic joue ainsi avec les reflets miroités par la plaque de verre, montrant par la surface de verre elle-même la main qui tient la boule qui la brisera, ou donnant furtivement à voir une boule semblant rouler sur la surface - on ne sait plus bien à ce stade s'il s'agit d'une rampe se reflétant sur la plaque de verre, ou de la plaque de verre elle-même - avant de la heurter à la verticale.
L'attente du choc, l'absurdité apparente du dispositif ainsi qu'une certaine difficulté à comprendre l'agencement de l'espace placent le spectateur dans une position profondément désagréable, que le traitement sonore de la bande vient renforcer. Après chaque choc se fait entendre un bruit de fond indéterminé dont le volume monte jusqu'à devenir légèrement gênant : le bruit du choc suivant l'interrompt alors, laissant quelques instants de répit au spectateur. Slobodan Pajic génère ainsi une tension, qui semble entièrement dirigée vers le moment de l'impact de la boule métallique sur le verre : " Ni la technologie vidéo, ni l'œil du spectateur ne sont capables d'enregistrer le point exact de la fracture et de la transformation qui restent invisibles, insaisissables. D'où une confrontation fondamentale entre la rupture qui n'existe pas sur l'écran et celle qui habite l'esprit du spectateur" [2].
Destruction du son et de l'image serait alors la quête - nécessairement impossible - d'un instant : celui du passage d'une forme à une autre, du passage des compositions arbitraires réalisées à l'aide des plaques et de la poudre blanche à une forme éclatée, toute aussi incompréhensible, composée cette fois-ci des bris de verre fracassés par la boule métallique. Cette préoccupation pour l'enregistrement du passage d'un état à un autre sera confirmée, en 1977, par la réalisation d'une bande intitulée Passage d'un espace fermé à un espace ouvert, dont le dispositif montre de nombreuses similitudes avec Destruction du son et de l'image : cette fois-ci la bille métallique détruit des boules de verre remplies de pigments.
Philippe Bettinelli
[1] Marché International de la Vidéocommunication.
[2] Slobodan Pajic, cité par Nancy-Wilson Pajic, Slobodan Pajic, Casa de Cultura Salvador de Madariaga, La Corogne, Centro Galego de Artes da Imaxe, 1994, p. 6.