Artistes propaganda II, 1977 - 1978
U-matic, PAL, couleur, son
En janvier 1978, Jean Dupuy demande à une vingtaine d’artistes de s’essayer à la vidéo dans les tous jeunes studios audiovisuels du Centre Pompidou. La règle est simple : chaque participant doit y réaliser trois bandes d’une durée imposée de trente, soixante et quatre-vingt-dix secondes. Ils ne se voient imposer aucun thème, et disposent tout au long du processus de réalisation de l’assistance technique des agents du Centre Pompidou.
Jean Dupuy participe lui-même à l’exercice, mais endosse surtout le rôle de monteur : c’est en effet lui qui choisit l’ordre de diffusion des clips, tantôt montrant l’ensemble des productions d’un artiste d’une traite, tantôt les dispersant au fil du montage. Ainsi, si ces contributions sont aujourd’hui réparties sur trois bandes d’une trentaine de minute, elles constituent dans l’esprit de Jean Dupuy un seul et même ensemble. Et pourtant, parmi les artistes invités à participer à cette expérience collective figurent des personnalités aussi variées que Ben, Annette Messager, Christian Boltanski ou Jacqueline Daurac. Si Artist Propaganda II n’est en réalité une œuvre collective que sur le mode du cadavre exquis, ou de l’encyclopédie à laquelle chaque auteur apporterait une contribution, il semble possible d’identifier, parmi cet ensemble disparate, quelques grandes tendances quant au rapport même qu’entretiennent les artistes avec le medium vidéo.
Certaines propositions semblent d’abord considérer la bande comme un laps de temps à occuper, comme une simple contrainte temporelle. Plusieurs artistes profitent ainsi des durées imposées par Jean Dupuy pour donner un cadre à des performances, allant parfois jusqu’à jouer le « contre la montre ». Roy Adzac tente ainsi de couper une pomme en un maximum de morceau, selon qu’il dispose de trente, soixante ou quatre-vingt-dix secondes. Joël Hubaut obéit quant à lui à une voix qui le met au défi de « mettre sa chaussure dans sa chaussette » en la découpant frénétiquement à grands coups de rasoirs. Jean Dupuy, enfin, s’efforce de rester impassible après avoir absorbé de la poudre à éternuer, dans une proposition se référant à l’œuvre de Marcel Duchamp Why Not Sneeze, Rose Sélavy.
Tandis que les propositions les plus proches de la performance se traduisent souvent par une grande sobriété formelle (un simple plan fixe), d’autres propositions témoignent d’un usage plus varié des capacités du medium vidéo. Jean Dupuy nous donne l’illusion qu’une flèche factice – représentée sur une feuille de carton par une simple tige, quelques traits de crayon et une plume – est véritablement mise en mouvement par un rapide panoerama latéral. Alors que certains artistes ménagent des effets de saisissement certain sens de la mise en scène et du trucage, d’autres poussent le médium dans ses retranchements par des modifications violentes de l’image et du son : jeux d’altérations chromatiques pour Rougemont, perte de la netteté et saturation sonore pour Martial Thomas, désynchronisation du son et de l’image pour Nil Yalter, etc.
Si de nombreux artistes construisent leurs propositions à partir de la contrainte temporelle imposée par Jean Dupuy, Bruno de Lard et Charles Dreyfus sont les seuls à jouer directement avec le lieu dans lequel il leur est donné de tourner, à chercher à montrer véritablement des éléments du studio de tournage n’étant pas destinés à être filmés : la caméra de Bruno de Lard déambule à l’entrée de la salle de tournage jusqu’à un clap portant son nom, alors que Charles Dreyfus illustre des jeux d’altération du son par des plans sur les potentiomètres de la table de mixage du studio. D’autres enfin abordent, par la question de la vidéo, celle de la télévision et du rapport que le spectateur entretient avec elle. S’il est tentant d’interpréter en ce sens l’une des propositions de Ben, restant inactif, face caméra, avec un panneau indiquant « regardez moi cela suffit », c’est surtout Robert Filliou qui semble traiter cette problématique dans ses trois vidéos intitulées L’esclave : celles-ci présentent un poste de télévision diffusant l’image de Robert Filliou donnant des ordres qui seront exécutés par… Robert Filliou lui-même, regardant le poste de télévision à partir duquel son double s’adresse à lui.
Développant le protocole proposé un an plus tôt dans les premières moutures d’Artist Propaganda, Jean Dupuy revêt pour la première fois en France les habits de chef d’orchestre ayant fait sa réputation dans le Soho des années 1970 - de l’exposition collective About 405 East 13th Street aux soirées performances comme Soup and Tart ou Three Evennings on a Revolving Stage. Quelques mois après Artist Propaganda II¸ Jean Dupuy revient à ces premières expériences en organisant Art Performances / Minute, une série de performances organisées au Louvre, grâce à la complicité de Pontus Hulten, alors directeur du Centre Pompidou.
Philippe Bettinelli