Le Magicien, 2003

Bande vidéo betacam numérique PAL diffusée sous forme de fichier numérique, 4/3, couleur, son, français
18 min


Le Magicien (2003) se présente comme la captation d'une performance de Abdelouahid El Hamri, le "Sinbad du Détroit", un vieux prestidigitateur qui se produisait à Tanger en attraction de fêtes d'anniversaire lorsque Yto Barrada était enfant. Le spectacle se déroule à une échelle quasi domestique. La complicité est manifeste entre la cinéaste et son sujet qui s'adresse librement à elle et exécute ses tours en les commentant, à la manière d'une démonstration, d'un "manuel" animé de magie tangéroise.



El Hamri se présente à nous en costume avant de secouer la table bancale où il va officier et de psalmodier quelques incantations, cigarette à la main. Suit une performance désuète, exécutée par moments avec une lenteur détachée et à d'autres sur un ton solennel, et qui s'effectue en darija  -  l'arabe dialectal local  -,  mêlé au français et à un peu d'anglais. El Hamri laisse ses manipulations apparaître, échoue parfois à produire l'effet escompté sans se démonter, évoque ses "trucages" se dit magicien et fakir, invoque Dieu et les djinns. Après avoir endormi un malheureux coq - "c'est pas facile" - El Hamri nous présente Omar, son fils et successeur qui réalise un tour avant d'être renvoyé en coulisses où il gère les accessoires. Après une dernière démonstration, le magicien replie avec soin son costume dans une malle qui semble avoir traversé le temps.



Barrada capte un fragment de Tanger, ville "internationale" et lieu d'un assemblage culturel instable, fabuleux et désastreux. Le magicien ruse avec la dépossession et les cultures en mobilisant des croyances et des modes de connaissance dont il n'est pas dupe. Religion, superstition, référence à l'art et formules de pacotille font un joyeux mélange. L'illusion n'est pas vraiment l'enjeu. Nous assistons à un rituel reposant sur un contrat tacite avec les spectateurs : une fiction reconductible et partagée.



Avec un cadre frontal et de brefs plans séquences séparés par des passages au noir, Yto Barrada décrit une expérience de spectacle d'un bout à l'autre. L'artiste documente une magie qui laisse ses rouages apparaître, au moyen d'une autre forme de magie qui ne nous montre pas les siens. Le cinéma tient une place fondamentale dans sa pratique. De même dans le monde arabe où le cinéma Égyptien en particulier a circulé très tôt d'un pays à l'autre, traversant les dialectes et portant avec lui des musiques, des récits et des figures non occidentales.


Marie Muracciole, 2020