The Bad Sister, 1983
2 BVU PAL, couleur, son
The Bad Sister est le dernier des six films réalisés par le couple formé par Laura Mulvey et Peter Wollen, cinéastes et théoriciens. Parmi les intérêts que présente le film se déploie la vaste question de la « spécificité du médium » qui demeure clé dans les débats critiques qui organisent le champ artistique des années 1960 et 1970. The Bad Sister est en effet réalisé pour la télévision : Channel 4 a été créé en 1982 et offre alors une plateforme inédite au cinéma expérimental, ce qui constitue pour l’époque et au regard de la structuration de l’avant-garde cinématographique britannique une étape inédite. L’idée est de composer avec les outils télévisuels qui ouvrent par exemple vers l’utilisation d’effets spéciaux déjà permis par l’ordinateur et la vidéo – que le duo Mulvey/Wollen utilise ici pour la première fois. Cette hybridation marque incroyablement le film qui porte effectivement la trace d’expérimentations multiples tout en tenant les promesses d’un thriller.
Le choix d’adapter un roman d’Emma Tennant publié en 1978, qui est lui-même une réécriture de Confession d’un Pécheur justifié de James Hogg (1824), justifie une incursion formelle vers le fantastique. Les personnages masculins du texte de Hogg basculent vers le féminin dans la version de Tennant. Au cœur du scénario se trouvent la question du double et du dualisme : Jane Wild, l’héroïne, est la fille illégitime d’un riche propriétaire terrien écossais. Un flou entoure la possibilité qu’elle soit responsable de la mort de son père et de celle de sa sœur, sa mère ayant par ailleurs disparu dans des conditions mystérieuses. Elle vit sous l’influence d’une mystérieuse Meg, sorte de gourou féminin, et traverse des phases de transe intenses qui conduisent ses envies de vengeance. Le texte de Tennant regarde manifestement du côté du féminisme : il y est question, pour une jeune femme, de se libérer du patriarcat, d’une vie domestique pesante, possiblement de son hétérosexualité. Il est clair cependant que le suivi linéaire d’une « histoire » intéresse peu le duo Mulvey/Wollen. Le film est marquant pour ses tentatives d’introspection, son esthétique minimaliste et l’inquiétante étrangeté qui s’en dégage. Les solutions formelles pour fondre le réel et les espaces oniriques peuvent sembler datées mais elles offrent de vrais marqueurs historiques : ceux des années 1980, leur signature musicale autant que leur tendance à « dissoudre » les héritages modernistes. Le film porte ces enjeux de façon très aiguisée.
Lors de sa diffusion sur Channel 4 le 23 juin 1983, The Bad Sister est regardé par 2 millions de personnes, chiffre qui bien évidemment bouleverse les schémas de réception traditionnels du cinéma expérimental.
Clara Schulmann, 2021