Arabian stars, 2005

Installation mixte
35 panneaux en cartons peints, 82 chaises dépareillées, 2 haut-parleurs, 1 bande video, PAL, 16/9, couleur, son stéréo, 38’


"Ce que l'on peut alors appeler proprement destin des images, c'est le destin de cet entrelacement logique et paradoxal entre les opérations de l'art, les modes de circulation de l'imagerie et le discours critique qui renvoie à leur vérité cachée des opérations de l'un et des formes de l'autre", Jacques Rancière [1].

Arabian Stars, installation audiovisuelle, fait partie d'une trilogie en quelque sorte composée de deux autres installations : Un crime, 2004 et des célèbres Anarchitekton (Barcelone, Bucarest, Brasilia, Osaka), 2002 – 2004 , réalisée par l'artiste Jordi Colomer, né en 1962 à Barcelone et vivant à Paris, et dont l'œuvre a été exposée internationalement. Ayant visionné le film documentaire Le Mura di Sana's que Pier Paolo Pasolini a tourné en 1971 au Yemen pour l'Unesco afin de faire sauvegarder le patrimoine architectural yéménite, Jordi Colomer eu le désir de tourner une œuvre dans les déserts et certaines villes du Yemen, Sana, Shiban, Aden ) , intéressé depuis le début de sa carrière par les questions architecturales et urbanistiques, mais aussi par les contrastes entre différentes périodes historiques : l'époque médiévale et notre époque postmoderne. "Le Yemen semble être une société médievale avec des gadgets postmodernes" écrira t-il dans un entretien [2]. Il s'agit encore d'une société tribale, socialement et industriellement peu développée. Cependant alors qu'il semble ne pas y avoir d'industries propres au pays, des objets industriels tels des téléphones portables, des objets en plastic fabriqués en Chine ou en Inde, circulent parmi les habitants. Le décor de ce faux documentaire est aussi important que les acteurs de cette fausse fiction. Le désert mais aussi les bâtiments de ces villes semblent irréels dans Arabian Stars alors qu'ils sont habités. Dans chacun de ces bâtiments vit une famille entière, plusieurs générations d'une même famille même, et ces architectures poussent verticalement au fur et à mesure de l'agrandissement de la famille. Le long et lent mouvement du camion sur lequel est placée la camera est d'autant plus important qu'il nous permet de voir et d'observer cette architecture très spécifique. Par sa formation mais aussi ses intérêts personnels, Jordi Colomer s'est intéressé aux architectures urbaines, à la modernité d'ensembles traditionnels comme dans Arabian Stars ou à la postmodernité, quelque fois de manière très critique " de constructions contemporaines comme dans Anarchitekton. Les 'acteurs' de cette fausse fiction sont les habitants des villes, plutôt masculins, car les femmes sortent rarement de leurs habitations dans ce pays, et suivent le camion, attirés par le tournage et le fait d'être filmés. Ils portent des panneaux en carton avec des noms représentant des stars tels que : Omer Simson, Bruce Lee, James Bond, Barbie, Astérix, Zorro, Terminator, Godzilla, Saint Nicolas, Abdolla Albaradoni (poète yéménite), Mohamed Ali, Sheherazade, Che Guevara, Obi-Wan Kenobi, Mies van der Rohe, Muhamed Mahmud Al-Zubeiri (poète et résistant), Pikachu , Picasso, Amat Alim Susua (ministre des droits de l'homme), Michael Jackson, Zinedine Zidane, Batman, etc. Cette liste non exhaustive montre la diversité des personnalités auxquels les habitants/performeurs se réfèrent, des joueurs de football aux poètes yéménites, des héros de révolution à des titres de films américains. Ils viennent tant de l'histoire réelle que des films ou bandes dessinées de fiction. Ils s'improvisent 'performeurs' dans cette œuvre. Les modalités d'installation : murs vert pâle se référant à la couleur des intérieurs yéménites, 82 chaises diverses trouvées sur les marchés aux puces correspondant aux 82 'acteurs', une grande projection d'environ 2 m x 3m, sont définies très précisément par l'artiste lui-même. La combinaison des trois paramètres (décor, scénario, acteurs) permet à Jordi Colomer d'établir un constat critique de l'évolution de la société yéménite, de la rapidité de l'invasion capitaliste, et de la perméabilité des habitants. Nous avons l'impression que la culture s'introduit dans ses sociétés sans hiérarchie de valeurs. Le sport populaire, les films à grand spectacle, sont au même niveau que la poésie arabe ou la peinture moderne.



Christine Van Assche



[1] Jacques Rancière, Le destin des images, Editions La Fabrique, Paris, 2003

[2] "De Picasso a Pikachu, Une conversation entre Jordi Colomer et William Jeffett", dans Arabian Stars, Jordi Colomer, Salvador Dali Museum, St Petersburg, Flo, Etats-Unis ; Museu nacional, Centro de Arte Reina Sofia, Madrid, Espagne, 2005, p. 144 – 151.