Echolalia, 1980

Bande vidéo analogique 1 Pouce PAL numérisée,
4/3, couleur, son
31 min 08 s


Deux silhouettes de femme apparaissent et disparaissent sur un fond noir sans profondeur, unies à la surface de l'écran puis face à face dans de multiples déploiements qui confinent au cérémonial. Les regroupements et les divisions des formes alternent. Les corps sont parfois suggérés par une ligne ou par des scintillements mais donnent toujours le sentiment d'une unité à venir. On assiste à une sorte de chorégraphie où l'échange et l'écho se font par gestes simples, où chaque mouvement est reconduit, où chaque personne semble interchangeable. Les premiers gestes de cette chorégraphie sont ceux d'une genèse, d'un mouvement simple et circulaire. Parfois la symétrie des deux femmes ne l'est plus tout à fait, elle se pare de la musique isomorphe mais légèrement décalée de Jean-Yves Bosseur – fait exceptionnel dans les bandes vidéo de Thierry Kuntzel, toujours muettes. Le son doit s'écouter au seuil du perceptible, comme en voie de perdition.



Une écholalie est un terme psychiatrique qui stipule le fait de répéter machinalement les paroles entendues. L'écholalie est aussi un mode d'apprentissage du langage chez le petit enfant. C'est un langage avant le langage, un "corps langage" (Raymond Bellour). Cette langue est celle des modifications du timbre, des variations de l'intonation, du rythme et de l'intensité du son. Comparativement, la vidéo est une langue visuelle faite d'intensités et de variations multiples (couleur, lumière...). Et précisément Echolalia montre que le corps en vidéo est un corps de lumière soumis aux rythmes et aux intensités. Il est une image qui fonctionne selon les modalités de l'écriture de la vidéographie, laquelle n'est que diffusion lumineuse. Au cours de leur émergence, les silhouettes jouent de la symétrie / dissymétrie et de la manipulation subtile d'un miroir. Le miroir 1 dans la genèse du corps a une importance singulière dans la mesure où l'identification générée par l'image qu'il renvoie est ce moment où le "je" se métamorphose en une forme primordiale, avant toute objectivation dans son rapport à l'autre et avant que le langage n'intervienne pour lui rendre sa fonction de sujet dans l'universel. L'instance du moi se constitue avant sa détermination sociale, dans une pure fiction. La première image unificatrice du corps se forme à partir d'une symétrie inversée. Il y a de cette sorte d'éclatement dans l'oeuvre, qui engendre la recherche de l'unité. Les infimes variations dans le mouvement d'Echolalia font appel au spectateur pour remédier au morcellement de la représentation. C'est par son anticipation sur le geste à venir qu'il peut boucler le processus. Il devient lui-même l'écholalie d'Echolalia. Parfois, la matière présente à l'écran n'est plus qu'un lointain écho qui peine à surgir à la surface de l'écran, qui ne dessine plus qu'une faible réminiscence de la représentation. Dans ces instants la mémoire et le processus mental du spectateur sont à l'oeuvre, ils deviennent des passeurs, le miroir de la vidéo, son écho. Echolalia fait partie des premières bandes de Thierry Kuntzel confinées dans la période 1979-1980, qui aborde des notions temporelles et mnésiques avec un souci particulier porté à la matière même de la vidéo.



Dominique Garrigues

1 Au sens développé par Lacan dans Le stade du miroir.