Floating Memory, 2001
Betacam numérique PAL, couleur, noir et blanc, son
Au moment des manifestations étudiantes sur la place Tian'anmen en 1989, Liu Wei était à l'Université de Pékin. Avant la répression du 4 juin par le gouvernement chinois, Liu a pu prendre des clichés montrant ce qui a été passé sous silence par le régime. Floating Memory contient ces photographies, accompagnées d'autres séquences tirées de la propagande chinoise, du passé, du présent, et d'autres scènes symboliques. Organisée en bifurcations et en superpositions, la vidéo imite le fonctionnement de la mémoire. Le début de la vidéo montre des boy-scouts soufflant dans des trompettes, des slogans politiques imprimés sur des banderoles, etc. Une des scènes qui suit présente des enfants qui tracent une ligne sur un mur. Cette séquence est tirée de City of Memory (2000), une vidéo de Liu sur le thème de la violence de l'éducation chinoise et son influence sur les enfants qui ont grandi sous l'idéologie d'extrême-gauche de la révolution culturelle. L'allusion aux enfants – allégorie de la naïveté – annonce les longues années de répression dont est victime un individu qui grandit sous la violence inhérente au système éducatif et à la structure politique et sociétale de la Chine. Cette violence trouve son incarnation dans les manifestations de la place Tian'anmen. Les plans qui suivent montrent la place Tian'anmen aujourd'hui dans toute sa prospérité, accompagnée en fond sonore d'une chanson pleine de cynisme sur la société capitaliste. La caméra s'arrête sur le portrait de Mao dont le sourire domine la place, un "sourire prétentieux", comme Liu Wei le décrit quand la bande son. Cette ambiance prospère s'efface progressivement au fur et à mesure que les images passent à des gris uniformes et que la musique tapageuse décroît. Un jeune homme se retourne vers la place, une caméra à la main. Il prend des photos, et voit un mur fugitivement virer au rouge à la fin de la scène. Le reste de la vidéo fait se succéder des images de mains qui trient des photos et des négatifs sur les événements de 1989, et des gros plans sur des photographies qui montrent des étudiants en train de manifester et qui soulignent leur fragilité. Dans ces images s'intercalent celles du jeune homme devant le mémorial sur la place, illuminée à la nuit tombante et rappelant la veille de l'impitoyable répression. Des images des protestations, du protagoniste et de la place (où l'on voit les passants marcher en arrière, comme s'ils remontaient le temps), apparaissent et disparaissent, avec en surimpression des images de mains triant de vieux clichés et des gros plans sur un mur (qui évoque la dictature). D'autres scènes monochromes montrent une foule qui monte un escalier, et un aveugle avec une canne : un cortège anonyme et collectif avec une dimension historique. Si les ultimes scènes de brouillard et de pluie font à la fois allusion au caractère onirique et brumeux de la mémoire de chacun et au passé et aux vies à jamais perdus, la banderole brandie par les étudiants réapparaît et proclame en caractère gras : “Ne mourons pas aujourd'hui !”
Sylvie Lin