I Never Dream Otherwise than Awake, 2006

12 fichiers audio sur CD-Rom, 8 structures composées de 12 haut-parleurs, 30 longueurs de fil électriques couleur argent, 21 réglettes avec tubes fluo de couleur bleue, divers matériels audiovisuels


Extrait de l'entretien réalisé par Bénédicte Ramade, publié dans Emmanuel Lagarrigue, In Other worlds we would have been in love, Sémiose éditions, Paris, 2007

Bénédicte Ramade : Dans I never dream otherwise than awake, la couleur donnait une inflexion assez différente ?


Emmanuel Lagarrigue : C'était presque l'inverse car le bleu fonctionnait comme un horizon absolu. La couleur émanait de tubes fluorescents posés à 5 cm du sol qui ceignaient l'intégralité de l'espace dans lequel on évoluait. La lumière — comme le son — fonctionnaient à la manière d'une ligne d'horizon perpétuelle. En regardant l'une des structures qui pendaient du plafond, il n'était jamais possible de faire abstraction de l'ensemble. Ces structures étant très légères visuellement, elles étaient nécessairement traversées et perturbées par cet horizon bleu et lumineux en arrière-plan. Dans I never dream otherwise than awake, le son fonctionne un peu de la même manière qu'avec This isn't just in your mind. La partie musicale donne une coloration générale et provient du pourtour de l'espace. Mais il " pénètre " davantage dans les voix, musicalement et plastiquement.


BR : Le son architecture l'espace ?


EL : Je le ressens de plus en plus comme une forme de sculpture. Le son modèle l'espace.


On peut le noter plus fortement sur les dernières pièces parce qu'elles fonctionnent à des échelles plus grandes. It was the sound which vibrated this life a aussi cette qualité pour moi. Il y a une différence par rapport à d'autres pièces, qui sont très légères et cristallines, au niveau du son lui-même, très léger, presque insensible. J'ai désormais aussi envie d'utiliser différemment la puissance du son.


BR : Dans I never dream otherwise than awake, le processus de travail était très différent car tu n'as pas utilisé de sources préfabriquées et cinématographiques, tu es parti dans une demande spécifique ?


EL : J'avais vraiment envie et besoin de réintégrer des échanges humains dans la construction d'une pièce. Avec toutes ces questions que je me pose, sur l'intime,


la construction du rapport à l'autre, j'avais envie de les mettre à l'épreuve différemment, j'avais besoin de réintégrer une dimension plus directe. J'ai demandé à des personnes proches de moi d'accepter de les enregistrer pendant qu'elles fredonnaient des chansons de leur choix. Cette matière m'était confiée — le mot confiance n'est pas ici un vain mot — avec la liberté d'en faire ce que je voulais. Pour chacune des chansons, j'ai découpé ce qui avait été fredonné en de multiples morceaux que j'ai ensuite ré-agencés. Puis j'ai composé pour chacune d'entre elles des bribes de mélodies, sans rapport avec la chanson fredonnée, comme si elles avaient, elles aussi, été découpées.


BR : Tu as veillé à ce qu'on ne puisse pas identifier la chanson ?


EL : Je voulais éviter le côté karaoké, même si on reconnait bien sûr parfois la chanson…


BR : …comme avec les extraits de films ?


EL : Oui, de manière très fugace. Dès qu'elle était trop reconnaissable, je me débrouillais toujours pour couper et qu'on ne puisse pas l'entonner en chœur. Les fragments de voix et de compositions se mélangeaient dans l'espace à la bande-son diffusée à la périphérie. Il était important que celle-ci vienne de partout, comme la lumière bleue, grâce à un système qui ne permet pas de localiser la source. On écoute habituellement de la musique ou du son à partir d'un, au maximum de deux points fixes, télé ou haut-parleurs. On a des habitudes perceptives qui sont très ancrées et très peu conscientisées. Dans beaucoup de pièces et de dispositifs que j'ai faits précédemment, j'ai travaillé sur des sources de diffusion différentes, depuis le sol ou le plafond, dispatchées ou pas, très localisées ou non. La perception et la réaction au son sont très différentes selon l'appréhension physique, ce qui est très logique. Et cela peut servir le propos et l'ambition d'une pièce particulière.