Les Trois Philosophes, 2001

Installation vidéo
3 moniteurs,
3 Betacam numériques , PAL, couleur, silencieux, 60’


Dans son installation Les Trois Philosophes, Michael Blum se réfère à un énigmatique tableau de Giorgione qui porte le même nom et interroge dans sa relecture les conceptions qui s'y rapportent, aussi bien historiques que philosophiques. La complexité de ce tableau créé au début du 16ème siècle et conservé au Kunsthistorisches Museum de Vienne fait qu'il résiste encore aujourd'hui aux questionnements iconographiques. L'œuvre est auréolée de mythes et d'énigmes qui témoignent de l'écart qui ne cesse de se creuser entre l'artiste et les interprètes, laissant la place à de nombreuses propositions d'interprétation convaincantes. C'est dans ce champ libre que Michael Blum pénètre, non sans ironie. Il développe le motif en trois séquences d'images reliées entre elles par la forme et transforme le modèle de départ en une performance dans son installation composée de trois bandes vidéos présentées au public sur trois moniteurs en temps réel. L'action est transposée dans le présent immédiat ; des rails anonymes et une station de train de banlieue animée en sont le lieu. Une caméra fixe saisit la dynamique du va-et-vient urbain au milieu duquel seul le personnage central est figé, immobile au deuxième plan. Êtres à têtes d'animaux, habillés plutôt discrètement d'une jupe, d'un T-shirt ou bien d'une veste, les philosophes cadrés de face par Blum brouillent vivement les frontières entre mythe et réalité quotidienne. Au lieu du message crypté que le maître italien avait mis entre les mains de ses sages, les trois penseurs en mission solitaire s'adressent en citant Marcel Proust, Bertolt Brecht ou Bertrand Russel, aux passants qui se pressent devant eux. La philosophe à tête de mouton propose à notre réflexion ces mots de Brecht : "De toutes les choses certaines, la plus certaine est le doute". Le gorille et le cheval aussi expriment leurs doutes quant aux décisions et aux jugements précipités. Ces scènes particulières ressemblent à une tentative de classement ou à une épreuve dans laquelle les assertions philosophiques passent au banc d'essai du public. Leur intérêt reste ouvert et leur utilité est en test. Si le tableau de Giorgione avait, mieux que toute autre œuvre, stimulé l'imagination en agissant comme un miroir de la capacité de penser individuelle, Les Trois philosophes de Michael Blum encouragent à leur manière la réflexion critique. Mais quel rôle joue la philosophie dans ce présent qui s'accélère? Qui considère que l'acceptation du scepticisme et du doute de soi est une bonne recette pour atteindre de grandes aspirations individuelles? Les Trois Philosophes ne donnent toujours pas de réponse, le transfert d'un médium à l'autre n'a rien changé à cela non plus. Michael Blum met à distance les protagonistes et les intègre dans une chorégraphie métropolitaine silencieuse en perpétuel recommencement dans l'espace d'exposition. Cette double distanciation se révèle être une pratique appropriée pour sortir du quotidien habituel avec le but, grâce à cette distance, d'en apprendre plus sur lui.


Katrin Steffen


(Traduction Emilie Benoit)