Park, 2002

1 structure en bois, 1 écran, 1 vidéoprojecteur,
1 bande vidéo, PAL, couleur, silencieux,
13 min 11 s


Aernout Mik, dans ses installations, fait évoluer le spectateur entre une architecture captivante et des images hypnotiques, presque tactiles. Ses vidéos se dilatent dans l'espace, éludant le caractère bidimensionnel et plan propre à l'image cinématographique. Presque tous ses travaux se présentent sous la forme d'une rétroprojection qui s'amorce au sol et s'encadre, à l'intérieur d'un linteau de bois, à hauteur humaine. Écran après écran, vidéo après vidéo, les installations de Mik tracent des parcours dans lesquels le spectateur découvre des personnages qui paraissent se fondre à travers des actions répétitives et mimétiques. Ces gestes, parfois violents, parfois indolents, ne semblent pas avoir de finalités déterminées, même si le spectateur se doute qu'ils ne sont pas gratuits. Pour Mik, nos relations aux autres s'établissent à des niveaux nettement plus complexes que ceux ayant trait à la psychologie. L'interdépendance avec l'espace, avec le temps, avec l'animé et l'inanimé confère aux relations de groupe un caractère quasi organique ou biologique. C'est pour cette raison que l'artiste cherche à élaborer des scènes où l'action des personnages résiste aux lois de la logique narrative. Dans Park (2002), une vingtaine d'hommes et de femmes se rencontrent dans un espace arboré. Quelques-uns sautent et dansent autour d'un arbre, sans qu'il se passe apparemment quoi que ce soit, tandis que d'autres gambadent dans l'herbe ou sont assis, occupés à des tâches mystérieuses. Alors que le groupe poursuit ses activités de manière frénétique et absurde, subitement, l'objectif de la caméra balaye les cimes des arbres en montrant leur feuillage verdoyant, et suggère par là même que leur existence végétale participe à l'ensemble de la représentation. De fait, les arbres comme les personnes, les chiens, les cartels suspendus sur un mur ou sur un arbre, paraissent n'avoir d'autre objectif commun que celui d'exister, d'être là. Cette même finalité peut s'appliquer à d'autres œuvres de l'artiste, telles que Float, Territorium, 3 Laughing, 4 Crying ou Organic Escalator, dans lesquelles l'environnement, dans son incertitude, est suffisamment attrayant pour que les sujets s'adaptent et se laissent porter, sans pour autant perdre de leur indépendance. On dirait que la majorité des personnages qui pullulent dans les vidéos d' Aernout Mik sont dépourvus d'une biographie à laquelle se raccrocher. Il est pour le moins difficile de les imaginer avec une histoire personnelle à raconter ou avec des caractères propres à les singulariser par rapport au reste du groupe. Dans la mesure où Mik s'intéresse plus à l'analyse de l'espace bio-social que psychologique, il choisit d'éliminer radicalement tout signe dénotant domestication ou civilisation, pouvoir ou influence, personnalité et caractère. Ainsi dénudé, l'être humain se rapproche de l'être animal ou végétal, mais aussi, en dernière instance, de l'objet inanimé, dans son essence. Cette fraternité forcée entre l'animé et l'inanimé que Mik propose dans ses travaux fait état de mécanismes d'assimilation, d'adaptation et d'interaction avec le milieu, qui habituellement passent inaperçus ou restent invisibles à nos yeux. Dans Park, le destin de chacun des protagonistes paraît être unique. Les uns et les autres ne se regardent pas plus qu'ils n'ont de contact émotionnel. De loin, on soupçonne une vague reconnaissance de l'existence de l'autre, même si c'est simplement pour la minimiser ou l'intégrer partiellement. Dans une situation où deux individus, appelons-les A et B, partagent le même espace, il peut tout arriver. Comme le note Jorge Wagensberg dans un texte consacré à l'œuvre de Mik, " l'interaction peut être telle que les deux comportements s'annulent et que règne le silence. L'interaction peut être telle que le rire s'impose. L'interaction peut être telle que, à l'inverse, la tristesse domine. L'interaction peut être telle que, dans une infinité de possibilités, n'importe laquelle en résulte. Mais il existe seulement un cas où tout reste comme avant, c'est quand AB est la simple somme de A plus B, c'est quand A n'arrive pas à communiquer avec B, c'est quand l'interaction est égale à zéro1. " L'effort du spectateur pour essayer de dépasser l'extravagance des scènes minutieusement construites par Mik se voit récompensé au moment où il renonce à rechercher un fil narratif conventionnel, où il se laisse porter par les fluctuations de l'imprévisible, de l'incertitude et du chaos. L'équilibre entre les forces extérieures et notre propre expérience, entre l'incontrôlable et le culturel, entre le possible et le désirable, trace la cartographie de l'existence humaine et corrobore une fois de plus la fragilité de sa condition. En définitive, l'œuvre de Aernout Mik fait référence, d'une façon oblique et suggestive, à ce qui configure et détermine notre environnement social et politique.


 


Marta Gili


 


1. Jorge Wagensberg, " Fluctuando con la incertidumbre ", Aernout Mik, Barcelone, Fundación La Caixa, 2003.