REMOTE CONTROL (1 et 2), 1971

installation vidéo
2 moniteurs, 1 synchroniseur, 2 bandes vidéo, NTSC, noir et blanc, son (anglais)


Vito Acconci fit ses débuts sur la scène de l'art comme poète concret mais évolua très vite vers une forme d'art qui ne portait pas encore de nom. La fin des années 1960 fut une période d'exaltation et de rébellion. Les artistes méprisaient ouvertement les boîtes blanches des musées et des galeries commerciales et préféraient vivre et montrer leurs œuvres dans quelques boutiques délabrées du Bas- Manhattan. Ces actions de protestation ciblées manifestaient l'esprit révolutionnaire de 1968. Le monde de l'art tout entier se vivait comme une vie de voisinage. Le quartier était petit, et le sentiment d'appartenance à cette communauté d'artistes plasticiens et de performance était très développé. Un après-midi de 1970, Acconci était assis, seul, dans un bar du coin fréquenté par les artistes, Max's Kansas City. Il commença à frotter une petite partie de son avant-bras et, sans raison évidente, continua à se frotter bien après l'apparition de la première rougeur. Cette action fondatrice sans aucune prétention fut recommencée et documentée par des photographies noir et blanc à grain. Acconci utilisa divers médias pour enregistrer ces actions personnelles qui n'avaient rien de très particulier d'abord en super-8, puis en vidéo. L'image vidéo brute en noir et blanc renforçait l'aspect très physique de l'œuvre. Les actions étaient à la fois dérangeantes dans leur agressivité et risibles. Sur une bande, il essaie ainsi de se convaincre qu'une fille est sous la table et lui caresse la cuisse. Et l'action se poursuit pendant une demi-heure, jusqu'à ce que la bande soit fi nie. Ces pièces duraient généralement une demi-heure ou une heure, selon la durée de la bande chargée dans la caméra. Les artistes méprisaient l'aspect commercial et les coûts des studios de montage vidéo. Certains pratiquaient des montages primitifs, mais Acconci laissait simplement défiler ses bandes jusqu'au bout. En les repassant, il conservait ce qu'il voyait, ce qu'on appelait dans le jargon du jour une prise ou une œuvre, mais seulement s'il aimait. Sinon, il réutilisait la bande pour un autre enregistrement. L'aspect primitif de la vidéo correspondait bien à l'esthétique du temps. C'était une technique économique et personne ne parlait encore de collection. Du coup, elle attira un public enthousiaste dans les universités et les lieux alternatifs. Les artistes qui travaillaient jusque-là isolés dans leurs lofts délabrés avec pour seul sujet une partie de leur corps ou leur chien pouvaient tout d'un coup montrer leur travail partout aux États-Unis. Et il se trouvait des fans et même des critiques qui voyaient dans ce travail brut le début d'une nouvelle forme artistique.

Remote Control d'Acconci débuta sous la forme d'une performance organisée dans un lieu essentiel de l'Upper East Side, qui ne connut cependant qu'une brève existence. Le Finch College Museum connut ses 15 minutes de gloire en présentant des œuvres nouvelles de Richard Serra, de Dennis Oppenheim et d'autres futures célébrités. La performance d'Acconci qui mettait en scène en direct cinq personnes devant un public était appelée un événement ou une action. Le terme de performance d'art, pour ce type d'œuvre qui se mitonnait en 1971, n'avait pas encore été trouvé. Remote Control doit plus à la danse et au théâtre qu'aux arts plastiques traditionnels. Acconci et Kathy Dillon sont enfermés à la Beckett dans d'étroites cages en contreplaqué placées dans deux pièces séparées. Ils se voient et s'entendent grâce à un circuit vidéo. Chaque cage est équipée d'un micro, d'une caméra et d'un moniteur de télévision qui les réunit pour un " pas de deux ". Les spectateurs peuvent se déplacer d'une pièce à l'autre, et à l'occasion sortir pour aller boire une bière dans un pub voisin. La mise en scène rappelle les temps anciens, lorsque la foule des spectateurs se tenait debout dans la fosse du théâtre. Ils connaissaient alors bien les pièces et allaient se rafraîchir lorsque l'action ralentissait. L'argument de la pièce est direct et peu crédible : Acconci aide Dillon à se ligoter elle même avec une corde. Il est cajoleur, autoritaire, il fait étalage de sa maîtrise de la manipulation. L'obstacle principal semble être dans les moyens de communication. " Je dois me convaincre que tu es ici – Je suis toujours conscient de la télé – ce n'est pas encore comme avec une vraie personne. " On doit présumer que si les cages étaient dans la même pièce, Acconci n'aurait aucune difficulté à obtenir de la femme ce qu'il lui demande. L'action de l'attachement est curieusement fascinante. Acconci dit : " Je passe lentement la corde sur tes genoux… je soulève maintenant tes jambes, doucement… je passe la corde sous tes jambes. " Il mime l'action, suppliant la femme de le suivre. Son ton finit par être déférent, extrêmement soumis. Il se place lui-même en serviteur de la volonté de la femme pour obéir ou rejeter ses supplications. En effet, il prie cette femme de s'attacher elle-même parce qu'il est un type tellement bien. Sa performance et celle de Dillon joue délicieusement des rapports de passivité/agressivité. Aujourd'hui, les spectateurs de Remote Control voient cette vidéo sur deux moniteurs, Acconci sur l'un, Dillon sur l'autre. La tension entre la résistance et la soumission est fascinante. Ce stress est le moteur d'une TV réalité qui voit systématiquement un petit chef obtenir d'un subordonné de faire quelque chose de contestable. Cependant, personne ne va jusqu'au bout dans Remote Control. L'action se termine comme une chorégraphie. Lorsque la femme soupire et obtempère à ce qui lui est demandé, le mâle, fi er de lui, est tout heureux, et lorsqu'elle se rebelle, il est triste et ne sait plus quoi faire.

Barbara London


Traduit par Jacques Bosser