Deadpan (Pince sans rire), 1997

Installation vidéo, vidéoprojecteur, bande vidéo Bétacam numérique PAL, diffusée sous forme de fichier numérique,
4/3, noir et blanc, silencieux
4 min 03 s


Deadpan se traduit en français figuré par " pince-sans-rire ", qui désigne à l'origine un jeu, puis une personne pratiquant l'humour et l'ironie à froid. La référence à Buster Keaton explique ce terme pour une part, puisque, dans cette installation, Steve McQueen s'inspire et décline une partie de la séquence de la tempête de Steamboat Bill Junior (1928) pendant laquelle une façade de maison en bois s'abat sur le comédien, protégé " miraculeusement " par l'embrasure d'une fenêtre ouverte. La vidéo est projetée sur un vaste écran de trois mètres sur quatre occupant un mur entier d'une salle obscure, dont le sol brillant réfléchit l'image, créant ainsi une pliure de symétrie. Comme souvent dans le travail de Steve McQueen, le spectateur est amené à marcher littéralement dans l'image et à s'y immerger. Une douzaine de plans, de valeurs et d'angles différents, sont montés selon une esthétique (noir et blanc, lumière, construction rigoureuse de l'image et du cadre) et une rhétorique cinématographiques, alternant plans d'ensemble, plans rapprochés et gros plans du corps de l'artiste immobile, soumis à l'effondrement répété du pan de bois percé de la fenêtre dans laquelle il vient s'encastrer. Le visage, frontal, les yeux dans les yeux du spectateur, reste impassible, mais est traversé d'une légère crispation lorsque la façade vient violemment l'encadrer. L'effet du gag d'origine est rapidement désamorcé et détourné ; la référence au cinéma muet et de divertissement (souvent opérée dans le travail de McQueen, qui a aussi une formation de cinéma) se double d'une référence au portrait anthropométrique, évoqué par le gros plan du visage et son éclairage particulier, renforcé par celui, strié, de l'arrière-plan. Le corps d'homme noir de Steve McQueen, recadré par rapport à celui de l'homme blanc Buster Keaton, renvoie aux représentations de l'identité noire, souvent exclue des modèles dominants. La question se pose alors ainsi : à quel risque peut-on être dans le cadre et, surtout, y rester ? Au risque de l'élimination, de l'exclusion, de la disparition. D'autres pièces de Steve McQueen utilisent ce motif du décadrage en des termes proches : Just Above My Head(1996), où la tête de l'artiste, filmé en mouvement en train de marcher, se tient toujours au bord du cadre et s'en échappe parfois ; Catch (1997), qui présente un jeu de cadrage et décadrage provisoires de son propre visage et de celui de sa sœur. Le cadre, chez Steve McQueen, définit l'espace du corps, l'espace de la vie intime, l'espace de la représentation sociale, et par là même le lieu de l'identité. Il ne va jamais de soi. Le dernier plan montre le mur de bois s'abattant sur l'écran en l'obscurcissant complètement ; il donne l'impression d'ensevelir le spectateur dans son espace propre, qui est aussi celui du reflet de l'image. Le mur-écran de la salle d'exposition se confond alors avec le mur de la fiction. Le dispositif de l'installation trouve là tout son sens ironique, en impliquant directement le spectateur dans la représentation.


 


Françoise Parfait