Still, 1980

1 Pouce PAL, couleur, silencieux


Quelques formes émergent puis disparaissent sur un écran bleu. Un petit rectangle empli de grésillements blancs gagne la surface avant de se dissoudre. Les taches au centre réapparaissent pour peu à peu dessiner une rampe d'escalier, puis une porte. Evanouissement. Résurrection d'une forme triangulaire pleine de bruit visuel blanc. Elle passe au noir et se dissout dans le bleu de l'écran. Les taches centrales vont jusqu'à partager le moniteur en deux. Retour de la porte et de la rampe. La porte est ouverte et dans l'ouverture sombre se dévoile le grésillement blanc du rectangle. L'image entière devient neigeuse. Still provient d'une image réalisée en noir et blanc qui a subi un long travail sur la lumière, sur l'éclairage et la régulation du diaphragme. La couleur a été ajoutée avec le "truqueur universel" de l'INA. Still en anglais signifie : calme, immobile, tranquille. Ce peut être aussi une photographie extraite d'un film. L'oeuvre semble être l'histoire d'un récit qui soudain se fige et ne raconte plus que le passage de la lumière et de la couleur. La narration de Still n'est plus que "la constitution lente, intermittente d'une représentation", comme l'écrit Thierry Kuntzel. Cette représentation qui s'établit lentement est l'image d'un palier, d'un cadre de porte. Cette dernière revient régulièrement dans l'oeuvre de l'artiste. Une obsession qui se retrouve déjà dans ses recherches théoriques du début des années 70. Thierry Kuntzel, dans son analyse du film M de Fritz Lang, réalisateur notamment de The Secret Beyond the Door, écrit : "[...] A prendre la porte palière comme barre de l'antithèse, du paradigme, entre l'espoir de l'attente et le désespoir du vide (la caméra n'en franchit jamais le seuil). [...]" 1 Dans les années 90 ses oeuvres plastiques Le Tombeau de Henry James et Le Tombeau de Herman Mellville (1994) comme Le Tombeau de Michael Powell (1997) se composeront de portes en merisier gravées, tandis que Le Tombeau de Edgar Allan Poe (1994) sera constitué d'une porte en verre givré. La porte, emblème du voyeurisme cinématographique, symbolise l'attente, le mystère. Mais Still ne délivrera jamais le secret qui se cache au-delà de son seuil. Sous ses arcanes l'oeuvre ne dissimule que le secret de sa propre constitution. Derrière la porte se trouve une incrustation : un rectangle qui grésille, neigeux. Un parasitage d'ordinaire chassé. Mais la texture de ce rectangle, comme un poste de télévision, envahit peu à peu l'écran tout entier. Ce bruit visuel, cette neige révèle la condition de son apparition : une vibration électronique en perpétuel mouvement. La neige de l'écran comme le grain de l'image viennent du moniteur balayé par des points lumineux. La porte s'entrebâille sur un petit écran rectangulaire qui, lui, n'ouvre que sur sa propre trame qui envahit le moniteur. Une mise en abîme qui ne mesure que le passage infini du temps. Cette mise en abîme réduit l'image à ce qu'elle est : un système de grains, d'ondes et d'électrons. La représentation ne peut se construire et s'édifier qu'au travers du temps qui assure sa cohérence.


Dominique Garrigues


1 Thierry Kuntzel, "Le travail du film", Communications, Paris, Le Seuil, numéro 19, 1972, p. 35.