Bathing, 1977

1 Pouce NTSC, couleur, son


Bathing décline un thème classique de la peinture : la femme au bain. Gary Hill ne rompt pas avec l'origine picturale de ce sujet. Au contraire, il crée un jeu de connotation de l'image vidéo par des effets picturaux et des références aux conventions de ce médium. L'oeuvre est réalisée au moyen d'un convertisseur analogico-digital.
La bande est structurée par un schéma comparatif opposant des séquences analogiques et digitales. Trente-six séquences couplées se succèdent. La première de chaque groupe est l'enregistrement en temps réel et en couleur de différentes étapes de la toilette de la femme dans sa baignoire et de parties de son corps. La seconde est un arrêt sur la dernière image de la séquence précédente, ou sur la première de la séquence suivante.
Des deux côtés de cette opposition dialectique, l'idée de la peinture est d'abord introduite par le traitement de la couleur. La première séquence diffère d'un enregistrement du réel par le changement des couleurs originales. Le procédé de solarisation permet d'attribuer des couleurs différentes en fonction des niveaux d'intensité de gris, si bien que les zones colorées sont les ombres qui soulignent les volumes du corps enregistré. La blancheur qui domine la première séquence correspond à une diminution des valeurs de gris et du relief de l'image, ce qui dématérialise le corps et accentue l'immatérialité de l'image vidéo. Les ombres sont en demi-teintes bleues, roses, mauves ou jaunes pâles. Dans la deuxième séquence, les couleurs sont saturées et les noirs intenses, le volume du corps est rendu par zones où le rouge, le vert, le bleu, par exemple, sont en aplats ou juxtaposés, créant un effet pictural. Le corps acquiert une nouvelle densité. Les détails s'effacent, créant ainsi une image abstraite où le sujet du bain et la femme disparaissent. De la première à la deuxième séquence, l'image vidéo passe de l'illusion des trois dimensions à un espace à deux dimensions qui se rapporte à une conception de la peinture moderne.
L'arrêt sur image réfère à une image fixe. Elle est présentée dans le cadre noir d'un téléviseur qui rappelle l'encadrement des tableaux et s'oppose ainsi au plein écran de la première séquence. Le plan fixe et le cadrage sont des conventions picturales, des antithèses du mouvement et du temps réel de l'enregistrement vidéo. La caméra a saisi successivement différentes parties du corps, cadrées d'une manière qui rappelle les représentations picturales : le portrait, par exemple. A partir de la vingt-troisième séquence, le cadrage change. La fragmentation du corps en parties décontextualisées (un membre, un genou, etc.) rompt avec l'identification du sujet. Dans l'histoire de l'art, ce procédé relève davantage de la photographie que de la peinture.
La dématérialisation du corps par une lumière de couleur dense est réalisable dans les trois médias cités, mais dans Bathing elle rappelle particulièrement les tableaux du peintre Pierre Bonnard des années 1930 et 1940, notamment Nu dans la baignoire (1937) et Nu de dos à la toilette (1934).
Ainsi par le traitement du corps par les couleurs, les deux dimensions, l'arrêt sur image et le cadrage, Gary Hill crée une illusion de la peinture. Ce jeu sur les limites entre des médias et des langages plastiques introduit aussi une réflexion sur les processus de la perception et de la pensée, qui nous permettent de reconnaître de la peinture dans la vidéo.
Bathing illustre une des perspectives dans lesquelles Nam June Paik avait placé ce médium dès 1965 : "De même que la technique du collage a remplacé la peinture à l'huile, le tube cathodique a remplacé la toile."1


Thérèse Beyler


1 Dany Bloch, "Nam June Paik et ses pianos à lumières", Art Press, Paris, numéro 23, décembre 1978, p. 8-9.